En Europe, beaucoup de personnes découvrent les masques africains au mur d’un salon ou derrière une vitre de musée. On les regarde comme des œuvres d’art, des objets décoratifs, parfois « exotiques ». Pourtant, dans la plupart des sociétés africaines traditionnelles, un masque n’a pas été créé pour décorer un espace : il est conçu pour être porté, dansé, invoqué. C’est avant tout un outil rituel, au service de la communauté.
Comprendre cette fonction d’origine et leur signification change la manière de les apprécier aujourd’hui, même lorsqu’ils s’intègrent dans un intérieur contemporain.
Les masques africains : un lien direct avec le monde des esprits
Dans de nombreuses cultures africaines, les masques jouent le rôle d’intermédiaires entre le monde des vivants et celui des esprits : ancêtres, divinités, forces de la nature.
Lors d’une cérémonie, la personne qui porte le masque et le costume associé n’est plus perçue comme un individu ordinaire. Le temps du rituel, elle incarne l’esprit représenté. On s’adresse à elle pour demander protection, conseils, pluie, récoltes abondantes ou apaisement d’un conflit. Les chants, les danses et les rythmes de tambours accompagnent cette transformation.
Les occasions sont strictement codifiées : rites de passage, funérailles, début des semailles, fêtes des récoltes, moments de crise. Chaque masque a sa fonction, sa signification, ses règles, son calendrier. Il ne sort pas « pour faire joli », mais parce qu’un besoin spirituel ou social l’exige.
L’exemple des masques Bwa du Burkina Faso
Les masques Bwa du Burkina Faso illustrent bien cette dimension. Leurs grands masques-planches, parfois hauts de plusieurs mètres, accompagnent notamment les cérémonies agricoles.
De loin, on distingue surtout de grands motifs géométriques. De près, ils révèlent un langage symbolique précis :
- les cercles évoquent l’œil de Do, la divinité suprême,
- les triangles renvoient aux dents d’un crocodile mythique,
- les damiers alternent monde visible et monde invisible,
- les couleurs rouge, blanc et noir correspondent à différents plans du cosmos.
Rien n’est décoratif au hasard. Chaque signe renvoie à un récit, une règle morale, une leçon à transmettre. Les jeunes apprennent progressivement à « lire » ces motifs au fil de leur initiation : un apprentissage qui peut durer plusieurs années.
Masques et organisation de la vie sociale
Au-delà de leur signification religieuse, les masques africains participent aussi à l’organisation de la vie collective. Dans plusieurs sociétés d’Afrique de l’Ouest, certaines confréries les utilisent pour :
- arbitrer des conflits entre familles,
- rappeler à l’ordre celles et ceux qui transgressent les règles,
- valider des décisions importantes pour le village,
- protéger l’accès aux savoirs considérés comme sacrés.
Ce système fonctionne parce que les décisions sont attribuées à la voix de l’esprit, et non à une personne identifiable. Le masque devient ainsi un outil de justice et de médiation, qui contribue à préserver la cohésion du groupe.
Que deviennent ces masques une fois exposés en Occident ?
Lorsque les masques africains quittent leur contexte d’origine pour intégrer des collections occidentales, leur signification change profondément.
Privés de leurs chants, de leurs danses, de leurs costumes et de leurs rituels, ils apparaissent surtout comme des sculptures impressionnantes chargées d’histoire. Les admirateurs les apprécient pour leur puissance graphique, leurs volumes, leurs couleurs. Pourtant, ce qui se trouve sur le mur n’est plus qu’une partie d’un ensemble beaucoup plus vaste, une culture à part entière.
Il est important de noter que les termes historiquement utilisés comme « art primitif » ou « art premier » sont aujourd’hui considérés comme inappropriés et réducteurs. On préfère parler d’arts traditionnels ou d’arts africains.
Comment intégrer un masque africain dans sa décoration tout en respectant sa signification ?
Choisir un masque africain pour décorer un intérieur ne signifie pas ignorer sa dimension culturelle. Quelques gestes simples permettent de l’honorer :
- se renseigner sur son origine (région, peuple, type de masque, fonction traditionnelle) ;
- éviter les généralités sur « l’art africain » et garder en tête la diversité des traditions ;
- privilégier des pièces issues de filières éthiques, ou des créations contemporaines inspirées de ces formes, réalisées pour la décoration ;
- lui réserver une place valorisante, qui rappelle qu’il ne s’agit pas d’un simple accessoire.
Les masques africains portent en eux de multiples significations et ne se résument donc pas à de beaux objets. Ils témoignent d’un autre rapport au sacré, à la justice, à la mémoire des ancêtres. Les accueillir chez soi, c’est aussi accepter cette profondeur et poser sur sa décoration un regard plus conscient et plus respectueux.